Anonyme (Inde, ?-?)
Ces quatre-vingt-dix œuvres peintes en provenance d’Inde représentent un corpus particulier de la Collection Sainte-Anne. L’homogénéité des œuvres est frappante et rare au sein de la collection. Les œuvres sont datées de 1946 et furent envoyées par le Docteur Ramanlal Patel au Docteur Volmat à l’occasion de la Première Exposition d’art psychopathologique de 1950. Robert Volmat a publié dans l’ouvrage L’art psychopathologique (1956) les notes du Docteur Patel à propos des peintures de son patient (1). Ramanlal Patel fait partie de cette génération de médecins psychiatre qui travaillent avec des méthodes innovantes pour l’époque. À la fin des années 1930, sous l’impulsion de la pensée kleinienne du docteur Mélanie Klein (1882-1960), en dissonance avec la pensée freudienne, les psychiatres indiens suivent les enseignements psychiatriques venus de Grande-Bretagne. C’est dans ce contexte que le docteur Patel entreprend une étude analytique de son patient par la création.
Les œuvres sont des aquarelles et des gouaches exécutées avec rapidité sans dessins préparatoires. Les motifs récurrents sont des scènes de travail au champ, les animaux, l’architecture et la femme au sari rouge, vêtement traditionnel indien, dont cet anonyme a peint une série de portraits. L’artiste semble avoir une certaine culture et éducation artistique. En effet, les titres des œuvres sont écrits en anglais, en sanscrit, et parfois en grec. De plus, le rythme de production ainsi que le respect des règles d’unité de temps, de style et d’action sont significatifs. L’hypothèse que cet artiste indien soit issu d’un milieu social aisé voir élevé est alors l’une des seules informations connues de sa biographie.
Le corpus est d’autant plus étonnant, car il se compose d’un savant mélange entre la représentation de l’Inde traditionnelle et l’Inde-Britannique. Rappelons que l’Inde gagne son indépendance en 1947, un an après la réalisation des œuvres. Nous retrouvons dans le corpus des représentations de portraits de soldats, d’avancées telles que l’arrivée du robinet, ou encore la représentation de la Tour Rajabaï achevé en 1869 au sud de Mumbai et réalisée par l’architecte anglais George Gilbert Scott (1811-1878), inspirée du Big Ben londonien. Cela opposé à une Inde traditionnelle par l’usage des motifs du sari, du travail de la terre, du puits ou encore du Qutb Minar symbole de l’architecture indienne qui dépeignent le paysage d’une Inde historique et culturelle.
L’Anonyme indien est l’un des rares artistes de la Collection Sainte-Anne à avoir fait l’objet d’une exposition monographique en 1999 intitulée From India au Musée Singer-Polignac (ancien nom du MAHHSA). Ce corpus incarne une richesse historique et artistique entre tradition et modernité.
(1) VOLMAT Robert, L’art psychopathologique, Paris, Presses Universitaires, 1956